Observer la manière dont les enfants dessinent aujourd’hui révèle un glissement, influencé par notre environnement moderne et peut-être une pression subtile vers la conformité. Cependant, le besoin fondamental d’expression libre et spontanée à travers le dessin et la peinture demeure vital pour leur développement, leur imagination et leur confiance en eux. Mon expérience en atelier montre qu’en offrant un espace où ils se sentent véritablement libres, sans jugement ni normes rigides, les enfants redécouvrent la joie et le pouvoir de leur propre trace.



Bonjour à vous, fidèles lecteurs du blog !

Depuis près de 20 ans, en tant qu’observatrice du dessin d’enfants à l’Atelier de Charenton, je vois évoluer leurs pratiques artistiques. Année après année, je suis témoin de la manière dont les petites mains s’approprient les outils et la feuille. Un phénomène frappant a particulièrement attiré mon attention : de plus en plus d’enfants appuient très fort sur leur main lorsqu’ils dessinent, réduisant ainsi leurs tracés à de petites zones. Cette observation, loin d’être anecdotique, m’invite à partager avec vous mes réflexions sur l’évolution de la créativité chez nos enfants et ce qui pourrait en être la cause.



Qu’est-ce qui a changé dans la manière de dessiner ?

Ce que j’observe n’est pas tant que les enfants dessinent moins, mais surtout, qu’ils dessinent différemment. Auparavant, leurs dessins occupaient toute la feuille, avec des formes grandes, libres et spontanées, de grands ronds et des grands traits. C’était souvent un geste jubilatoire dès la première séance de peinture. Aujourd’hui, les enfants par exemple, posent la main sur la feuille comme s’ils retenaient leur liberté, leur souffle. Le trait se fait plus serré. Les enfants qui, parfois à leur première séance, laissaient aller leur pinceau de façon jubilatoire, aujourd’hui le frottent, comme pour le retenir – Cela est à ne pas confondre avec le tapotement du crayon sur la feuille, qui lui est essentiel à l’enfant. Si les dessins d’hier étaient très spontanés et expressifs, les enfants d’aujourd’hui semblent prendre plus de temps à poser le crayon sur la feuille de papier. Ils se demandent ce qu’ils peuvent faire, ils demandent une consigne. Les idées et l’imaginaire semblent venir moins vite. Peut-être sont-ils plus soucieux du regard des autres et de leur entourage sur leur dessin.


Des images qui s’effacent ?


Une observation spécifique vient renforcer le constat des changements dans le dessin : les enfants dessinent de moins en moins de maisons, d’arbres et de bateaux. Autrefois figures phares et quasi universelles du dessin enfantin, constituant le socle de leur répertoire graphique, ces symboles se font plus rares et se perdre dans la nature. Il est difficile d’apporter une réponse formelle et unique à cette disparition. Mais cela invite à réfléchir plus largement à la place que nous laissons à l’enfant pour qu’il soit pleinement… enfant.


Quelles sont les raisons possibles de cette évolution ?


Ce changement dans la pratique du dessin pourrait être influencé par plusieurs facteurs liés à l’environnement actuel des enfants. L’accès à la technologie, l’apprentissage du dessin assisté, l’affluence d’images modifient les références visuelles des plus jeunes, les rendant moins enclins à reproduire des dessins simples et symboliques. Les illustrations dans les livres d’aujourd’hui me semblent aussi moins bien dessinées, moins détaillées, plus stéréotypées. Par ailleurs, les enfants ont souvent le nez sur leur écran, alors comment pourraient-ils voir le monde qui les entoure ? Le retranscrire ? Le réinventer si l’enfant ne regarde pas à l’extérieur ?

De plus, dans un monde où les idées sont souvent « prêtes à l’emploi », le dessin devient parfois une activité moins spontanée, dominée par des codes visuels que l’enfant va chercher à imiter plutôt qu’à inventer. Le processus créatif, dans ce contexte, peut être influencé par des attentes extérieures, des images déjà connues, et non pas par un désir pur de créer à partir de l’imaginaire. C’est également une explication possible à la question fréquemment posée : Pourquoi les enfants dessinent-ils de moins en moins chez eux ? Dans une époque où les écrans sont omniprésents, le temps consacré au dessin s’est réduit, remplacé par des activités numériques plus attrayantes et plus immédiates. De plus, le dessin à la maison est souvent perçu comme une activité “récréative”, secondaire, par rapport à d’autres occupations plus structurées. Il est fréquent que l’on attende de l’enfant qu’il “fasse bien”, qu’il dessine de manière perfectionnée et conforme à une norme scolaire ou autre. Cette pression, bien que subtile, peut restreindre son champ de créativité et l’inciter à dessiner de manière mécanique, se conformant ainsi à des formes apprises ou à des personnages préconçus.


L’importance vitale de la liberté dans la création

Ce qui est essentiel à connaître, c’est que l’enfant a besoin de se sentir libre pour créer, sans craindre le jugement. La créativité, comme toute autre forme d’expression, nécessite de l’espace pour se déployer. Lorsque l’enfant n’est pas sous pression, il peut véritablement s’amuser avec son dessin, créer des formes personnelles et uniques, loin des stéréotypes et des contraintes sociales. Malheureusement, cette liberté devient parfois de plus en plus rare, et la créativité se trouve souvent limitée par des attentes extérieures. Je crois vraiment que plus l’enfant explore son dessin en mobilisant son énergie, plus il développe son imagination et son audace. En créant sans exigence normative, il s’engage dans un processus créatif qui nourrit son esprit et sa sensibilité. En redécouvrant cette manière spontanée de créer, il retrouve tout le potentiel créatif qui sommeille en lui, loin des diktats du “bien dessiner”. La peinture libre est d’ailleurs un merveilleux médium pour se laisser guider par sa spontanéité.


Redonner l’espace à la trace et à l’imagination


Aujourd’hui, il me semble nécessaire de revenir à ce geste naturel et d’encourager à redonner de l’espace à leur créativité. Plus les enfants explorent la feuille blanche librement, plus ils stimulent leur imagination. À l’Atelier de Charenton, la liberté est primordiale. Nous mettons un point d’honneur à redonner cette liberté de création. Nous encourageons les enfants à explorer sur des grandes feuilles, à ne pas avoir peur de faire de grands tracés, à s’approprier leur espace sans crainte du résultat. Nous les aidons à retrouver la joie de dessiner, pour eux-mêmes en leur offrant des bulles de liberté. Nous leur rappelons qu’il n’y a pas de mauvais dessin, mais simplement des possibilités infinies d’expression personnelle et de mode de pensée. Cela les détend !

Le véritable pouvoir du dessin réside dans cette exploration totale de l’espace. En encourageant l’enfant à déployer son geste, à occuper toute la feuille, on l’invite à prendre toute la place qui lui revient, sans réserve ni peur du jugement. Ainsi, en laissant libre cours à sa créativité, l’enfant apprend à se connaître et à s’affirmer à travers son art. La trace qu’il laisse sur le papier devient le reflet de ses capacités, de son originalité et de son inventivité sans bornes. En fin de compte, redonner à l’enfant cet espace pour dessiner, un espace structuré et enveloppant, c’est lui offrir un monde dans lequel il peut explorer et grandir. C’est lui rappeler que la trace est avant tout un moyen de s’exprimer, de se libérer, et de créer en toute confiance. Et voilà, une source du bonheur que nous sommes nombreux à rechercher.


L’origine de cet article

L’idée de cet article vient d’une conversation avec Isabelle Filliozat, figure reconnue dans le domaine de la parentalité, lors d’une conférence à Charenton-le-Pont en 2025. Nous avons échangé sur l’enfant et les évolutions actuelles, et Isabelle m’a demandé ce que j’observais à l’atelier. J’ai alors partagé mon constat : les formes spontanées dans les dessins et peintures des enfants diminuent. Nous avons parlé de cette ‘retenue’, de traits moins libres, d’un espace moins investi, et ses remarques m’ont marquée. Cette discussion a déclenché ma réflexion et m’a donné envie d’écrire cet article.


Quelles sont vos propres observations ou expériences ? Comment pouvez-vous concrètement aider les enfants à garder ou retrouver cette merveilleuse spontanéité ? Si cet article vous a plu, vous pouvez venir peindre ou vous former pour aller plus loin. Qu’en dites-vous ?